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4.5
Réalisé par Julien Duvivier également auteur du scénario, avec des dialogues de René Lefèvre, conduit par le fil d’Ariane du commentaire écrit par Henri Jeanson et dit par François Périer, ce film sorti le 28 mars 1951 gagne le pari d’une idée originale qui aurait pu se fourvoyer dans un manque d’unité et de densité, mais non, la maestria et la rigueur qui caractérisent l’art de Julien Duvivier font merveille, son récit est fluide et insécable.L’idée originale : Paris est l'actrice principale de ce film, magnifiquement filmée dans tous ses états, diurnes et nocturnes, à l'instar d'une femme aux multiples charmes et sortilèges, changeante et imprévisible comme son ciel, ce ciel sous lequel coule la Seine, "mais le ciel de Paris n'est pas longtemps cruel, pour se faire pardonner, il offre un arc-en-ciel", ainsi que le dit la chanson interprétée dans la rue par Jean Bretonnière.Dans la continuité de cette idée originale, le magicien Julien Duvivier nous fait voyager dans un kaléidoscope d'images animées par les histoires croisées ou mêlées de personnages, tous attachants, aux prises avec leur destinée, sous son regard tendre ou désenchanté, vibrant d'humanité toujours.L'unité de temps étant celle d'une journée, il filme ces histoires dans les quartiers les plus emblématiques, les plus divers aussi, de Dame Paris, du Champ de Mars à Montmartre en passant par Mouffetard, le Marais, Ménilmontant, etc., sans oublier les quais de la Seine où s'improvise un pique-nique familial sous la houlette de Milou (Paul Frankeur).La Seine : Julien Duvivier lui donne toute sa place avec l'histoire, bijou de poésie, des deux enfants, Colette et "pirate", elle fugueuse parce qu'elle a eu un zéro pointé à l'école et craint une rouste paternelle, lui gavroche qui la prend sous sa protection, les voici embarqués sur un canot à destination de l'Australie... l'aventure prendra fin aux abords des Canaries, non loin des piles de l'un des vingt-quatre ponts historiques de Paris...C'est sur les quais que Colette croise Mathias (Raymond Hermantier), sculpteur raté et torturé par la solitude et son impuissance à conquérir l'amour d'une femme, personnage inquiétant mais pas pour Colette qui incarne l'innocence et la spontanéité de l'enfance, leur rencontre est la seule scène du film montrant la face claire d'un homme dont les tourments et les frustrations se muent en pulsions meurtrières.Denise (Brigitte Auber), la jeune et fraîche provinciale venue à Paris portée par l'espoir d'y rencontrer l'amour qui l'y attend, incarné par Maximilien (Robert Favart), après une correspondance sentimentale sans visage, débarque de la gare de Lyon et découvre Paris, les yeux écarquillés, à bord d'une calèche, faute de taxi.À Denise, une diseuse de bonne aventure prédira l'amour, la fortune et la gloire, c'est dans la réalisation tragique de cette triple prédiction que s'exprime implacablement mais brillamment le pessimisme de Julien Duvivier, son intelligence narrative aussi.Son sens de l'observation sociale, encore, avec l'histoire de Jules Hermenault (Jean Brochard), père d'une famille nombreuse où l'on se serre affectueusement les coudes dans la pauvreté, ouvrier en grève qui occupe l'usine avec ses camarades et ne les lâchera pas bien qu'on l'attende à la maison pour la fête de ses noces d'argent avec Marguerite, et celle de Georges Forestier (Daniel Ivernel), médecin interne qui échoue pour la quatrième (et dernière fois) à l'oral terrorisant du concours, ravagé par le trac, mais est un chirurgien surdoué, deux histoires qui vont se croiser dans une scène impressionnante de véracité et d'intensité, filmée au... scalpel par notre réalisateur.Et puis il y a le poignant personnage de Mademoiselle Perrier (Sylvie), vieille fille vivant dans un galetas avec ses vingt chats, sa maigre pension est engloutie bien avant le terme, du début à la fin du film, autre fil d'Ariane, elle erre dans Paris en quête de la bonne âme qui voudra bien lui donner les 64 francs nécessaires à l'achat de deux bouteilles de lait, "c'est pour mes chats", et cette errance est un sommet du film, grâce au génie de la caméra qu'était Julien Duvivier et au charisme d'une actrice au regard si puissant qu'il n'avait pas besoin de paroles ou si peu.Au total, ce film magnifique est une œuvre majeure, serait-elle peu connue, d'un réalisateur majeur dans l'histoire de notre cinéma, qui a eu cette lumineuse idée, assumée à la perfection : faire de Paris l'actrice d'un jour.